Le musée Victor Hugo – La maison d’un Illustre à Villequier

La maison Vacquerie, élégante maison normande située à Villequier Rives-en-Seine, fait partie du réseau labellisé Maison des Illustres en mémoire de Victor Hugo. Celui-ci n’y a jamais habité, même s’il y a souvent été invité par son ami le poète et dramaturge Auguste Vacquerie, le fils benjamin de la famille, qui lui écrivait en 1836 :

« Allez à Caudebec, et puis, à pied, allez,
En dirigeant vos pas sur les bords de la Seine,
Au village joyeux où ce chemin vous mène.
C’est Villequier. […]
Là, devant le jardin la Seine se déploie,
Et de l’autre côté sont les grandes forêts
Qui verseront sur vous le silence et la paix.»

Ce fut une étape toutefois, quand Victor Hugo venait se recueillir sur la tombe de sa fille aînée Léopoldine inhumée dans le cimetière de Villequier. Étape pour le recueillement et pour l’écriture de quelques pages des Contemplations. Ainsi le célèbre poème qui en est extrait :

« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, je partirai. (…) Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur ».

Expression du chagrin d’un père poète après la mort tragique de sa fille qui, avec son mari Charles, le fils cadet des Vacquerie, un oncle et son fils, s’était noyée dans la Seine, aujourd’hui coulant paisiblement au bout du jardin. Maison du bonheur, celui des jeux d’enfants, des vacances des jeunes époux après leur mariage en 1843. Maison du malheur quand survint le drame l’été de la même année, alors que Léopoldine venait de fêter ses dix-neuf ans.

Construite par le père Charles Isidore Vacquerie, armateur fortuné du Havre, la maison rappelle le charme et l’atmosphère cossue d’une vie de grands bourgeois du XIXème siècle. Celle-ci est restituée thématiquement pièce par pièce, avec meubles, objets, archives et tableaux depuis le rachat du bâtiment par le département de la Seine-Maritime en 1951, et les donations des descendants de la famille Vacquerie.

Devenue un lieu d’étude et de mémoire, la maison Vacquerie fut autrefois une résidence secondaire, magnifiquement placée en bord de Seine accessible par un escalier (accès reconverti en piste cyclable au XXème siècle), agrandie de deux ailes en bow-windows, et embellie d’un jardin de 1.000m²dont il ne reste pas de traces graphiques. Seul Auguste Vacquerie évoque dans un poème un jardin où il aime méditer le soir sur un banc, sans doute grisé du parfum des roses.

Encore témoin de cette époque, un grand hêtre pourpre couche son ombre sur l’est de la façade. Planté plus tardivement, un Magnolia grandiflora forme au printemps un bouquet de fleurs blanches. Puis, dès 1970, grandirent deux chênes des « Etats-Unis d’Europe » selon l’expression de Victor Hugo, issus de glands recueillis dans le jardin de Hauteville House à Guernesey, sa terre d’exil.

Nous visitons le jardin d’aujourd’hui avec Jean Cabaret, le directeur du musée et Thierry Hay, en charge des parcs et jardins à la Direction de la culture et du patrimoine du département de Seine-Maritime. Repensé depuis 2009 par ce dernier dans l’esprit romantique de la famille Vacquerie, il a choisi des sujets et des plantes essentiellement de la fin du XIXème siècle, comme les hydrangéas, rhododendrons, lilas, deutzias, aucubas, camélias ou les seringats, le jasmin des poètes… On y trouve aussi, héritées de nos anciens jardins, des vivaces ; pivoines, asters, phlox, ancolies, iris, lys de la madone, narcisses, aulx…, et un choix presque complet de bulbes qui poussent généreusement dans les parterres latéraux. Les rosiers y ont aussi leur place, en terre, sur tiges, en pots ou grimpants, les roses kimono, centenaire de Lourdes, les blancs Gruss an Aachen, iceberg…

Tout ce beau panel de couleurs structure l’ensemble de part et d’autre de la grande pelouse par des massifs composés entre lesquels le cheminement gravillonné facilite la découverte de raretés ; comme le Dracunculus vulgaris ou serpentaire dit petit dragon, dont la fleur s’élance à plus de 50 cm en exhalant une odeur putride. Avis aux amateurs, la période de floraison printanière est courte mais la fleur de velours pourpre étonnante !

Deux jardiniers œuvrent à l’entretien de ce jardin très fleuri, partageant leur temps entre Jumièges (70%) et Villequier (30%), tous deux domaines du département. La terre est généreuse, peu amendée, enrichie tous les trois ans d’un compost venu des bois de Jumièges, paillée de cosses de sarrasin sur les massifs pérennes arrosés d’un système de goutte à goutte.

Sur la façade plein sud qu’un ballet d’hirondelles a investie, deux sphinges romantiques se parent de fleurs tombant de belles potées italiennes et de grimpantes s’accrochant à des colonnes ou sur le treillis des briques: les rosiers Mme Alfred Carrère, Bobbie James, et un Hydrangea seemanii, persistant et grimpant.

Cachée sous les ombelles, une intrigante plaque gravée Kiki, marque la tombe d’un petit singe mascotte de la famille Vacquerie, rappel de la vie et des amours d’une maison heureuse.

Enfin devant la façade, des tipis de bambou éphémères où grimpent en été des volubilis bleus, ipomées et Suzanne aux yeux noirs de couleur blanche, délimitent la terrasse de la pelouse qui descend vers le fleuve sans obstacles, si ce n’est une grille ouverte aux amateurs de jardins.

La pelouse. Elle est depuis trois années le théâtre de mosaïcultures imaginées par Thierry Hay et réalisées par Matthias Fleury et Thomas Ferreira, les deux jardiniers affectés sur le site, qui se renouvellent en lien avec les expositions annuelles du musée.

Consacré en 2021 à Flaubert et intitulé Voyage en Orient, le premier thème permit la création d’un étonnant tapis persan en son centre, composé d’une déclinaison de rouges magnifiée notamment par des verveines, zinnias, surfinias…

En 2022, l’Orient fut encore à l’honneur avec une exposition sur le Liban. La pelouse alors se para de calligraphies arabes dorées (Alternanthera magnifica ‘Yellow’) sur fond pourpre (Achyrante carminata) gravant en terre une pensée du peintre et poète libanais Gibran Khalil Gibran (1883-1931) : « Les fleurs du printemps sont les rêves de l’hiver contés au matin à la table des anges », un des 322 aphorismes extrait de Le sable et l’écume.

En 2023, année de l’Armada à Rouen, commence un diptyque sur le thème de la mer, décliné en vagues et ondulations inspirées de la pieuvre de Victor Hugo (sujet du Livre IV dans Les travailleurs de la mer). Le dessin entame alors les bords de la pelouse par des incursions ondoyantes bleues, grises et blanches, des moutonnements de graminées, des touches de couleurs marines : bégonia blanc, surfinia, lobelie, verveine, armoise schmidtiana, fétuque bleue, sauge patens, mertensie maritime (plante à huître) … pleinement épanouis en juillet.

Ce décor végétal évocateur de l’eau et de la mer sera peu changé en 2024 complétant le thème choisi par le musée : Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo. L’année verra aussi la création d’une rose parfumée de couleur pastel nommée Léopoldine Hugo dont l’obtenteur ne nous est pas encore connu.

Comme la maison Vacquerie, le jardin séduit par son charme et sa préciosité. Par la grille en bord de Seine vous pouvez y entrer gratuitement et y rester pour l’apprécier, vous asseoir sur un banc, piqueniquer sur une table de jardin et admirer la Seine et ses péniches, installé sous le kiosque belvédère. Nul doute alors qu’une pensée pour Léopoldine traversera votre esprit et que l’envie vous prendra de mettre vos pas dans ceux de son père en visitant son musée.

Texte : Charlotte Latigrat Photos : Guillaume Valabrègue, Charlotte Latigrat, J.B. Leroux

La Maison Vacquerie-Musée Victor Hugo est Rue Ernest Binet, 76490 Rives-en-Seine, juste en aval de Caudebec en Caux. 02 35 56 78 31. www.museevictorhugo.fr. La visite du jardin est gratuite aux heures d’ouverture du musée; entrée par le quai Victor Hugo. Visite du Musée 5€, nombreuses conditions de gratuité.