
Ils semblent soudés, ou plutôt amalgamés l’un à l’autre depuis la nuit des temps, offrant un contraste inversé : le massif clocher de l’église du XI° siècle ressemble à un donjon, alors que l’aile finement ciselée du manoir évoque une chapelle… Un et Indivisible! C’est le type même de ces sites uniques que l’on ne pourra oublier.
On imagine, d’entrée de jeu, un probable castrum romain. Plus tard se creuse et s’élève une motte féodale, témoin toujours présent de temps troublés. La basse-cour, également fortifiée, servait de refuge et de lieu de vie à toute la population du village. C’est là que se déploie maintenant le jardin, entre l’ancienne cour, piétinée et tassée depuis des siècles, et le potager, cultivé et amendé depuis toujours (bonne précaution en cas de siège!). L’ensemble est disposé aujourd’hui autour d’un manoir plaisamment restauré, des XVème et XVIème siècle.

De grandes familles normandes sont passées par ces lieux: Les Le Roux d’Esneval , encore bien présents dans la région, ou les Tilly, issus du premier seigneur de Hastings, promu au soir même de la bataille éponyme.
Le manoir est repris en 1820 , tout comme les forêts alentour , par Jules Audresset , grand industriel et novateur du textile. Il habilla la Grande Armée de chauds uniformes en “ drap de Louviers “, qui allaient vite se montrer fort utiles… Il faut dire qu’il descendait de l’un de ces fameux Suisses du Roy, rudes gaillards qui tinrent jusqu’au dernier dans la défense des Tuileries lors de la révolution. C’est l’alliance avec une famille ancienne provenant du Cantal qui nous vaut aujourd’hui la présence sur les lieux de Guillaume et Amélie Réveilhac, qui ont racheté le domaine en 2012 alors qu’il était sorti de la famille pendant une quarantaine d’années.


Exploitation agricole jusqu’à 1960, le manoir nécessitait d’importants travaux. La création du jardin, sur un sol remanié, empierré, et foulé depuis des siècles ne fut pas non plus un maigre enjeu. Artiste peintre et céramiste, l’actuelle maîtresse a l’œil et ne manque pas de talent: il en ressortira un ensemble original de formes modelées dans toute une palette de couleurs.
Le parti pris pour le jardin est celui de nuances douces, avec prédominance du vert, assorti de rose et de blanc. Sans compter des dégradés de violet virant au bleu. La transition entre les vieilles pierres et les massifs fleuris est marquée par de lourds contreforts qui définissent une succession de niches exubérantes. L’ambiance médiévale du site est soulignée par une épaisse haie de charmes, hérissée de créneaux de hêtres. Effet garanti!
Des sculptures de Volti commencent à parsemer les lieux. Équilibre toujours délicat entre écrins, perspectives, thématiques, postures, dispositions…entre bronzes, topiaires et massifs. Exercice en quelque sorte inversé lui aussi : c’est d’un tableau que semble sortir le jardin !


Les parterres, structurés par des plantes pérennes: buis, lavandes et ifs, entremêlent artistiquement des fruits et des fleurs. Ils privilégient les vivaces, en particulier d’attachants rosiers de David Austin, au charme un peu suranné. Spleen et Idéal ! Des asters et des gauras sont également mis à l’honneur en dispositions étagées. Un buisson d’iris apporte par exception une vive marque jaune. Les ombres se peuplent d’arums, tandis que les fougères, mobiles et gracieuses , animent le tout. Un espace de méditation, orné de jolis bancs près d’une prairie fleurie, s’ouvre sur les siècles des siècles…
Le jardin fruitier et potager rappelle la vocation première du lieu : garnir la table familiale et conserver, au moins symboliquement, la longue utilisation fermière des terres alentour. Plus ordonné, il se divise en quatre carrés : deux en potager, deux en jachère fleurie, soulignés de pommiers en espaliers.

La culture est menée à l’ancienne : fumier, compost, paillage … Les pucerons n’ont droit qu’à de l’alcool blanc. Quant aux mauvaises herbes, traitées au sel et au vinaigre, elles sont ensuite binées à la main! Précautions qui sans doute amènent sur les jachères mellifères le vrombissement permanent des abeilles. Les papillons multicolores volètent en tous sens, en contrepoint de leurs collègues blancs qui préfèrent se concentrer plus sagement sur les lavandes. Ces rondes dégagent une musique permanente de notes comme en suspens, variant à l’infini… Audace et imagination n’ont jamais germé dans des lieux médiocres et banaux. Guillaume le ressent: Il lui faut “du Beau, du Bon et du Bien.” Belle devise!

La ferme adjacente, bâtiments anciens disposés autour d’une cour intérieure, vient d’être reprise. Déjà s’ébauche un futur cadre: environ 1.500 m2 de toitures vont alimenter tout un réseau hydraulique: bassin central, plantes aquatiques, avant d‘irriguer, sur 10 hectares, un projet innovant d’agroforesterie. Une plantation de noyers sera ainsi associée à la culture en bandes de légumineuses bio-diététiques comme le sarrasin, absent de nos contrées… Au-delà, sur 250 hectares, de nouvelles techniques d’expérimentation forestière augmenteront l’effet puit de carbone et pourront influencer la pluviométrie. Hellenvilliers va ainsi du retour à la binette jusqu’aux recherches et projets les plus avancés.

“Un roman”, disait Stendhal, “est un miroir que l’on promène le long d’un chemin”. Il en est de même de la vie, quand toutes les facettes s’enchaînent, se reflètent et convergent vers de belles allées tracées. La vie est un rêve de jardinier. Amélie et Guillaume Réveilhac le savent. Mais… Mais la “modernité” frappe toujours et encore … : Un projet d’aménagement touristique risque de modifier le voisinage immédiat du jardin. A surveiller de près!…
Texte : Jean-Luc de Feuardent. Photos : Amélie Réveilhac
Le manoir d’Hellenvilliers est 5 rue de l’Eglise, 27400 Le Mesnil-Jourdain, à 10 km au Sud-Ouest de Louviers. Il est ouvert au public de juillet à septembre de 14h à 18h sur rendez-vous : www.instagram.com/manoir_d_hellenvilliers , ainsi que lors des journées du patrimoine.