
Deux majestueux cèdres du Liban (Cedrus libani) nous accueillent dès l’entrée. Ce n’est que le début d’une série de découvertes qui ne vont pas tarder à nous surprendre. Dans ce lieu d’exception, autour du château médiéval d’Harcourt, berceau d’une illustre famille, ont en effet été regroupés patiemment, depuis plus de deux siècles, les spécimens d’une collection unique d’arbres de plus de 400 espèces, provenant du monde entier et appartenant à plus de 40 familles botaniques différentes.
Dans leur région d’origine les plus vieux cèdres peuvent atteindre 2.500 ans et leur tronc près de 4 mètres de diamètre. Selon la légende cet arbre biblique aurait servi à la construction du temple de Jérusalem.
Les deux sujets d’Harcourt n’ont encore que deux cent ans mais sont déjà suffisamment âgés pour avoir acquis cette silhouette aplatie particulière qui rend l’espèce reconnaissable entre toutes.
Dans leur région d’origine les plus vieux cèdres peuvent atteindre 2.500 ans et leur tronc près de 4 mètres de diamètre. Selon la légende cet arbre biblique aurait servi à la construction du temple de Jérusalem. Les deux sujets d’Harcourt n’ont encore que deux cent ans mais sont déjà suffisamment âgés pour avoir acquis cette silhouette aplatie particulière qui rend l’espèce reconnaissable entre toutes.
L’arboretum d’Harcourt est un parc de onze hectares, aujourd’hui propriété du Département de l’Eure. Il faut s’y promener au gré de son inspiration, s’y perdre, s’y retrouver, suivre un moment l’itinéraire recommandé, s’arrêter. Il faut y goûter l’atmosphère paisible, un peu envoutante, se laisser bercer par les noms de continents lointains où sont apparus, au fil des millénaires, ces centaines d’espèces, mythiques ou méconnues.
Cette collection a été rassemblée ici par un projet qui perdure depuis plus de deux siècles : un projet porté par des explorateurs, des botanistes, des chercheurs, des forestiers, des humanistes, des élus. Ils y ont apporté ce mélange d’imagination scientifique, féconde de découvertes, et d’imaginaire esthétique, propice à la rêverie. Le vent qui balaye le plateau du Neubourg fait ici bruisser les feuilles d’un peuplement forestier inédit : il y murmure à notre oreille les noms latins de la classification botanique que Carl von Linné (1707 – 1778) a conçue au XVIIIème siècle.
L’origine de l’arboretum d’Harcourt remonte à 1802, époque du Consulat, lorsque Louis-Gervais Delamare, avocat parisien et forestier d’avant-garde, rachète la propriété, en partie ruinée, qui comprend le château du XIIème siècle et des terres. Il conduit le reboisement du domaine avec l’objectif d’y expérimenter des techniques sylvicoles nouvelles, destinées à servir de référence pour reboiser des friches et forêts dégradées et y acclimater des essences inhabituelles. Une démarche visionnaire que le changement climatique accéléré d’aujourd’hui remet à l’ordre du jour. A sa mort en 1827, il fait don de la propriété de 304 hectares à la Société Royale d’Agriculture devenue depuis l’Académie d’Agriculture de France, en exprimant la volonté que celle-ci poursuive ses expérimentations et en assure la vulgarisation : « Servir, sinon d’exemple, du moins de preuve, de témoignage et de démonstration matérielle des immenses productions qu’on peut obtenir de la culture et de l’administration des bois… » (Société Nationale d’Agriculture de France, Rapport sur le Domaine d’Harcourt, M Bouquet de la Grye, Paris, 1895)

C’est ce à quoi va s’employer l’Académie, qui nomme à la tête du domaine un botaniste de renom : François-André Michaux (1770-1855) explorateur des montagnes Rocheuses et des Appalaches, des Etats-Unis et du Canada, qui créera à Harcourt l’arboretum de collection, quioccupe l’ancien potager et le quinconce. Sous son administration, on implante toute une série d’essences largement inconnues à l’époque, principalement des conifères nord-américains. De cette époque datent les plus grands sujets du monde végétal : les séquoias (Sequoiadendrum giganteum) et leurs cousins (Sequoia sempervirens) que l’on distingue des précédents à leurs feuilles d’if. Nous découvrirons plus tard d’autres géants : le sapin de Vancouver (Abies grandis), le pin de Weymout (Pinus strobus) originaire du Québec et le Tsuga (Tsuga heterophyla) aux aiguilles irrégulières.


En 1852, Pierre-Denis Pépin (1802-1876) prend le relais. Ce jardinier en chef du Jardin des Plantes de Paris donne un nouvel élan au domaine, fort de son expérience dans le plus ancien et le plus prestigieux arboretum de France, siège du Museum d’Histoire Naturelle. Il y introduit le pin Douglas (Pseudotsuga menziensii) originaire de l’Oregon, aujourd’hui largement diffusé dans nos forêts normandes. On en verra deux très beaux sujets, de près de 200 ans, dont un malheureusement a été frappé par la foudre. Il étend surtout la collection à des spécimens venus d’Asie dont le célèbre arbre aux quarante écus (Gingko biloba) qui ruisselle d’or en automne. Cet arbre originaire de Chine est considéré comme un fossile vivant qui serait apparu au Permien, il y a 270 millions d’années. On trouvera aussi le Metasequoia (Metasequoia glyptostroboides), classé arbre remarquable en 2008, lui aussi originaire de Chine : c’est l’un des rares conifères à feuilles caduques, avec le cyprès chauve (Taxodium distichum) et le mélèze d’Europe (Larix decidua) également présents. Il prend de belles couleurs parme à l’automne, jaune d’or pour le mélèze. Parmi les curiosités, ne manquez pas les deux hêtres tortillards (Fagus sylvatica var. tortuosa) qui nous viennent de la Montagne de Reims. Ces Faux de Verzy (fayards) sont issus d’une mutation naturelle du hêtre commun, avec lequel on le trouve en mélange. Ils ont, eux aussi, été classés arbres remarquables en 2008. Enfin, dans les prairies préservées s’épanouissent aussi plusieurs types d’orchidées telles l’Orchis pyramidal (Anacamptis pyramidalis), de ton rose indien. Harcourt est d’ailleurs classé par le Département Espace Naturel Sensible.

L’arboretum de peuplement complète cet ensemble : il est constitué de placettes expérimentales de quelques dizaines de sujets pour chaque essence, contrairement à l’arboretum de collection qui n’en comporte que deux ou trois. Il s’agit de tester la capacité d’adaptation des espèces retenues, à la station et au climat normands. Parmi les essais on citera le noyer noir d’Amérique (Junglans nigra), le cormier (Sorbus domestica), l’alisier torminal (Sorbus torminalis) et l’aulne à feuille en cœur (Alnus cordata). Chaque année la société Vilmorin vient récolter ici les graines de ces alisiers, cormiers et aulnes, les sème et les élève en pépinières pour permettre l’introduction de nouvelles diversités dans nos forêts.
Par donation du 23 juin 1999, l’arboretum d’Harcourt est passé de l’Académie d’Agriculture de France au Département de l’Eure, qui en assure désormais la conservation, la gestion, l’entretien et l’animation. Le château y fait l’objet d’un vaste programme de restauration, l’arboretum d’un inventaire complet géo-référencé et de programmes pédagogiques destinés au jeune public.

On s’est interrogé sur la pertinence scientifique de ces arboretums, alors que nous disposons aujourd’hui d’outils modernes qui permettent la conservation des ressources génétiques, leur étude et la sélection génomique de nouvelles lignées. Ainsi le Jardin des Plantes créé à Paris en 1635 par Louis XIII, l’arboretum des Barres à Nogent-sur-Vernisson (Loiret) créé par Philippe-André de Vilmorin (1776-1862) en 1821, l’Arboretum d’Harcourt et bien d’autres ne seraient-ils plus que des musées vivants, superbes vestiges de collections désormais destinées aux seuls plaisirs des visiteurs profanes ?
Il n’en est rien, et il se trouve même que sur la commune d’Harcourt, à 1.500 mètres de là, un nouvel arboretum vient de naître en 2011. Il fait partie d’un réseau de 38 arboretums du même type, inscrits au programme européen REINFFORCE (REsource INFrastructure for monitoring and adapting European atlantic FORests under Changing climate), qui s’échelonnent du Nord de l’Ecosse au Sud du Portugal. Comme l’arboretum d’Harcourt d’origine, ce nouvel arboretum expérimente sur deux hectares le comportement d’une série de trente essences inhabituelles, chêne vert (Quercus ilex), hêtre oriental (Fagus orientalis), robinier faux acacia (Robinia pseudoacacia)... Il s’agit d’évaluer leur capacité d’adaptation, de développement et de résilience face aux dérèglements du climat, aux maladies et aux ravageurs. Ce nouvel arboretum installé sur terrain privé est piloté par l’Institut pour le Développement Forestier (IDF) et le Centre National de la Propriété Forestière (CNPF). L’Union Européenne le Département de l’Eure lui apportent leur concours financier. L’entretien en est confié à l’Arboretum d’Harcourt et à son jardinier en chef. Il n’est pour l’instant accessible qu’aux scientifiques et aux ingénieurs. Mais nul doute qu’il éclairera comme son illustre prédécesseur les chercheurs, les forestiers et les amateurs sur les enjeux de notre époque qui façonneront demain nos paysages normands.


Du hêtre, roi des futaies normandes, il ne restera peut-être que des forêts résiduelles à proximité du littoral mieux arrosé. Le chêne pédonculé (Quercus robur) des futaies de l’Eure aura cédé sa place à son cousin le chêne sessile (Quercus petrea) ou même au chêne pubescent (Quercus pubescens) du sud-ouest. Qui sait si un jour, le chêne-liège (Quercus suber) ne s’implantera pas en Normandie ? Déjà le cèdre de l’Atlas (Cedrus atlantica) apparait discrètement alors qu’on le pensait cantonné au Sud marocain ou à la rigueur aux flancs du mont Ventoux. Un juste retour des choses, car la découverte de pollens fossiles témoigne de la présence de cèdres en France avant la dernière glaciation et peut être dès le miocène. L’aulne à feuilles en cœur nous vient de Corse ; il a la faculté de fixer l’azote de l’air pour se nourrir, ce qui le prédispose à la réhabilitation des sols pauvres et dégradés des friches industrielles. De même le saule Marsault (Salix caprea) révèle des facultés insoupçonnées de dépollution des métaux lourds, cadmium, cuivre, nickel ou mercure.


Sur de telles questions et sur bien d’autres, les arboretums nous éclairent. L’arboretum d’Harcourt n’a pas terminé de livrer ses secrets aux chercheurs, aux forestiers, aux écologues, comme aux amateurs de parcs et de jardins. C’est un lieu inspiré qui mérite que l’on s’y attarde. Ne le quittez pas sans avoir salué le platane multiséculaire (Platanus x acerifolia) classé lui aussi arbre remarquable, que vous admirerez avant votre départ à proximité du château.
Texte et photos : Pierre-Olivier Drège
Remerciements au Département de l’Eure : Mmes Gaëlle Cachereul et Catherine Flament ; à l’Académie d’Agriculture de France : Bertrand Hervieu et Jacques Valleix.
L’arboretum d’Harcourt est situé 13, rue du Château, 27800 Harcourt (Eure), à 30 minutes d’Évreux et 45 minutes de Rouen. Il est ouvert du 1er mars au 15 novembre : du 1er mars au 15 juin et du 15 septembre au 15 novembre : tous les jours sauf le mardi de 14h00 à 18h00. Du 16 juin au 14 septembre : tous les jours de 10h30 à 18h30. https://www.harcourt-normandie.fr